Et voici donc la fameuse interview telle que parue dans le zine, enjoy…
De part sa démarche artistique et intellectuelle, Ian Mac Kaye et son label Dischord fait partie des grandes figures emblématiques incontournables de la scène punk hard core américaines, au même titre qu’un Henri Rollins ( Black flag ), Jello Biafra ( Dead Kennedys ), Aaron Elliot ( Cometbus ) ou Tim Yohannon ( Maximumrocknroll ).
Profitant de la sortie du coffret triple CD célébrant les 20 ans du label Dischord, une courte session d’interviews fut organisée de manière impromptue juste après les quelques dates de Fugazi sur la perfide Albion. Limitée à 5 journaux, les prérogatives pour y assister furent pour le moins draconiennes...
Interlocuteurs triés sur le volet, devant montrer patte blanche et justifier d’une parfaite maîtrise du sujet. Quelque peu surpris par un tel réquisitoire ne correspondant pas du tout à l’image que je me faisait du personnage, j’ai hésité à prendre la peine de me déplacer de peur d’essuyer un refus et me couvrir de ridicule face à quelqu’un pour qui j’ai toujours eu énormément de respect. Ma curiosité a eu raison de ma timidité et j’ai pris mon courage à 2 mains pour lui poser toutes ces questions qui me hantaient l’esprit depuis plusieurs jours, pour ne pas dire plusieurs années et avoir une infime chance de revenir sur 20 ans d’activité d’un des labels les plus marquants de la scène punk. C’est ainsi qu’à l’issue d’une longue journée d’interviews données aux grand quotidiens de la presse hexagonale et près d’une heure et demie de retard sur le planning, j’ai finalement pu approcher ce grand monsieur !
Contrairement au tableau catastrophique que m’en avait dépeint les attachés de presse, il était à l’image que je m’en était fait, quelqu’un de très simple qui m’a accueilli avec beaucoup de gentillesse malgré mon anglais des plus basique, se souvenant même de notre brève rencontre 2 ans plus tôt à Dischord et au Black Cat à l’occasion d’un concert de Girls Against Boys et allant même jusqu’à retarder d’une heure son billet de retour pour que nous ayons pleinement le temps de converser. Mon calepin était rempli de questions et notes diverses. Nous avons commencé à discuter autour d’une tasse de thé en mangeant des fruits. Mon calepin est finalement resté fermé. Le temps a passé si vite que j’en ai oublié d’ouvrir mon calepin et par la même occasion une multitude de questions en suspend, mais pas d’enclencher mon magnétophone…
Vous n’avez fait que très peu de dates sur cette tournée…
Oui, on a juste joué en Irlande, Angleterre, et Irlande du Nord. Ce sont des concerts que nous devions donner cet été, mais nous avons dû les annuler suite au décès de la mère de Guy et les remettre à plus tard. Je suis resté quelques jours de plus pour donner des interviews et participer demain à un concert contre la guerre en Irak organisé par d’anciens membres de Crass.
En quoi consistera ta participation ?
Je ne sais pas trop en fait, je verrai demain. Je suis quelqu’un de très tacite et tangible, j’ai besoin de voir et sentir les choses avant de me lancer. C’est comme pour les concerts de Fugazi, je ne sais pas si tu nous as déjà vu ( plus d’une fois effectivement ), je suis quelqu’un de très présent et avisé, je joue en réaction avec le public. J’ai besoin d’être sur place pour savoir comment réagir. Je n’ai aucune idée de la manière dont les choses vont se passer demain. C’est dans un endroit très chic à Londres. Il y aura principalement des poètes, des orchestres de chambres, des chorales, des films. Je ne sais pas encore ce que je vais faire, j’ai besoin de voir comment les choses vont se passer. Cà n’aura rien de " rock " bien que ce soit organisé par des membres de Crass, ce sera plus une forme d’art punk ! Il se pourrait que je chante quelque chose, j’ai quelques morceaux en tête, des choses qui n’ont rien à voir avec Fugazi et que j’ai écrites au fil des ans. Je lirai peut-être un texte… Je ne sais pas encore.
T’a-t-on accordé beaucoup de temps pour çà ?
J’ai le droit à 5 minutes, c’est tout. 5 minutes sur scène pendant lesquelles je peux faire ce que je veux !
C’est un peu surprenant de te voir intervenir tout seul de la sorte…
D’une manière générale, j’ai toujours été réticent à me mettre en avant en tant que Ian Mac Kaye. Si tu regardes tout ce que j’ai fait par le passé, j’ai fait parti de groupes, de Dischord et je me suis toujours défini en tant que membre d’une communauté. C’est très rare pour moi de faire quelque chose en tant que Ian Mac Kaye. Même dans les interviews, je parle constamment au nom de ma famille d’extension. D’une manière générale, lorsqu’on me demande de faire ce genre de choses, j’ai pour habitude de dire non parce que je me sens beaucoup plus à l’aise en tant que membre de quelque chose. Mais en ce moment, face à la situation de crise actuelle je me suis demandé ce que je pouvais faire voyant que Fugazi n’était pas autant disponible que par le passé pour ce genre de manifestations. J’estime avoir encore beaucoup de choses à dire et à faire, bien que je sois très attaché à Fugazi, je suis absolument contre la guerre et je tiens à participer à tout ce qui peut promouvoir une démilitarisation. Je suis opposé à toute forme de guerre et plus particulièrement à ce non sens actuellement orchestré par les Etats-Unis. Je suis content d’y participer et de tenter l’expérience même s’il y toutes les chances que ma prestation soit minable. On verra bien, de toute façon c’est une bonne expérience.
Les prises de positions du gouvernement américain concernant la guerre en Irak ont-elles entraîné des initiatives similaires aux " punk percussion protests " à Washington auxquelles tu avais participé avec de nombreux activistes de la scène punk ?
Il y a bien évidemment eu de nombreuses manifestations et différentes formes d’actions en protestation contre la guerre mais pas à la manière des " punk percussion protests ". Les " punk percussion protests " auxquelles tu fais allusion correspondaient vraiment à une époque et ont perdu de leur sens en sortant de leur contexte. A la base, c’était pour créer une réponse à des mesures imposées par les forces de l’ordre. Nous voulions manifester devant l’ambassade d’Afrique du sud pour protester contre les mesures en faveur de l’apartheid. Mais la loi de l’époque faisait que l’on n’avait pas l’autorisation de manifester à moins de 200 mètres d’une ambassade. Toutes les manifestations anti-apartheid devaient donc avoir lieu à 200 mètres de l’ambassade ce qui nous paraissait totalement insensé. Il y avait des manifestations pratiquement tous les jours avec des arrestations, qui étaient en fait des arrestations convenues avec la police. Avant chaque manifestation, une liste de gens consentant à se faire arrêter pour la forme était remise aux forces de l’ordre, ces derniers les arrêtaient cérémonieusement à l’issue des manifestations avant de les relâcher dans la foulée. Notre position était de ne pas rentrer dans ce jeux hypocrite et nous avons cherché un moyen de contourner la loi. Premièrement, il était hors de question que nous demandions la permission de manifester à la police. Deuxièmement, il était encore moins question que nous leur donnions l’autorisation de nous arrêter. Troisièmement, quelle peut-être l’intérêt de manifester à 200 mètres du lieu concerné ? Notre objectif était de sensibiliser les gens de l’ambassade d’Afrique du Sud, c’est eux que nous voulions interpeller. Alors nous avons eu pour idée de prendre un véhicule avec une plate-forme à l’arrière sur laquelle jouerait un groupe, en l’occurrence Beefeater, et de remonter et descendre la rue de l’ambassade. Beefeater avaient un morceau intitulé " Apartheid No " avec un grand break de batterie. Ils devaient jouer ce morceau en boucle à l’arrière du camion en faisant des aller et retour devant l’ambassade. Nous voulions aussi utiliser la voiture d’un de nos amis qui avait un trou dans le plancher. Nous pensions nous en servir pour y faire couler de la peinture rouge en faisant également des aller et retour devant l’ambassade. Toute la chaussée serait ainsi devenue couleur rouge sang. Mais ce n’était pas possible, alors nous nous sommes dit " Attends un peu, si nous avons suffisamment de percussions à défaut de nous voir, au moins ils nous entendront ! ", et c’est de là qu’est partie l’idée des " punk percussion protests ". On a ainsi fait un certain nombre de manifestations de cette manière. Puis, ce qui s’est passé, certaines personnes à l’origine de ceci ont participé à d’autres manifestations puis ont été rejointes par d’autres personnes plus jeunes, elles aussi issues de la scène punk de Washington, qui ont adopté cette manière de protester et en ont fait un standard. Mais dans notre esprit, ceci ne correspondait plus du tout à son état d’esprit d’origine, et aux circonstances bien précise qui lui avait donné lieu. C’était un peu hors propos. Cà ne veut pas dire qu’il ne fallait pas le faire à nouveau, more power to them. Mais maintenant, si d’autres manifestations doivent avoir lieu, on peut trouver d’autres moyens de le faire. Il y a toujours eu une forme de dualité entre la police et les manifestants, mais quoi que tu fasses la police aura toujours le dernier mot en terme de violence. Ils ont des flingues et sont armés jusqu’aux dents. Face à la menace de mort, tu ne peux que perdre. Les manifestants doivent conserver l’avantage de la créativité pour agir psychologiquement. Ce qu’il faudrait maintenant, serait que les gens décidant de manifester trouvent des réponses spécifiques aux actes criminels de notre police qui sont totalement démesurés. Pour exemple, il y a environ un mois s’est tenue une manifestation à Washington en protestation à une réunion internationale concernant les accords mondiaux entre banques. Au cours de celle-ci 2 vitres ont été brisées, 2 vitres seulement. En retour, 600 personnes ont été arrêtées et mises en garde à vue pour 3 jours. C’est de la démence pure et simple. Notre police perd la tête. Les autorités sont folles et si les médias tenaient réellement leur rôle, ils en parleraient au lieu de se focaliser sur ces 2 vitres cassées. Mais c’est le monde dans lequel nous vivons…
A propos de violence et de conflits avec la police, de nombreux livres ont été publiés ces deux dernières années sur la scène hard core américaine mettant principalement en avant les nombreux affrontements auxquels elle donna lieu au moment de sa mise en place au début des années 80, tant en réponse aux forces de l’ordre qu’entre protagonistes de l’époque. Tu es bien évidemment mentionné dans la plupart d’entre eux, en as-tu lu certains ?
Non, et je n’en ai pas envie. J’ai juste lu " We got the neutron bomb " car je n’étais pas mentionné dedans. Je ne veux pas lire les livres dans lesquels je suis apparus.
D’une manière générale, as-tu été spécialement interviewé à cet effet ou tes interventions sont-elles de simple propos rapportés tirés de fanzines d’époque ?
Steve Blush m’a interviewé pour " American hard core ", Michael Azerrad l’a également fait pour " Our band could be your life ".
Pourquoi ne tiens-tu pas à lire ces livres ?
Et bien, j’étais là à l’époque donc je sais très bien ce qui s’est passé. J’ai ma propre prospective sur le sujet qui ne sera jamais la même que les auteurs de ces livres. Je n’ai pas envie de perdre mon temps à étudier des choses que j’ai pu faire par le passé, car je suis plus tourné vers le futur et tout ce que je peux être en train de faire en ce moment. Je comprends la démarche de Mark Andersen lorsqu’il a travaillé sur " Dance of days " et je respecte son boulot, mais le traitement historique est quelque chose de très sélectif et ce ne sera jamais l’exact reflet de la réalité. Chaque personne a sa propre prospective, et chaque écrivain son propre agenda. Tu le vois tout de suite en lisant " Dance of days " et " American hard core ". De nombreuses personnes se sont plaintes du contenu de " American hard core " et ont trouvé çà fou avec toutes ces narrations de gens passant leur temps à se battre.
Cà m’a effectivement un peu choqué en le lisant, j’avais une autre image de la scène hard core américaine, plus constructive et modérée...
C’est l’agenda que Steve Blush s’était fixé. Steve blush n’est pas vraiment un punk au sens où je l’entends, c’est un gars, une sorte de college kid qui a commencé à jouer dans des groupes et s’imaginait être une sorte de mauvais garçon ( bad ass ). Sa manière d’être un " mauvais garçon " était de s’associer avec des gens qu’il considérait comme tels. Obviously, il avait même fascination pour la violence que certaines personnes ont pour le porno. Pour parler de manière générale et imagée, les gens qui regardent des films porno sont des gens qui ne baisent pas. Je ne sais si tu vois où je veux en venir… Ce qui est un peu awful dans sa manière de procéder, c’est que ce sont des choses qu’il n’a jamais été capable de faire lui-même. Je sais exactement ce que j’ai dit dans les interviews que je lui ai accordées. Je n’ai pas lu son livre, mais je comprends tout à fait que certains de mes propos aient pu être mal interprétés en les sortant de leur contexte et avoir un aspect négatif. Cela vient avant tout des prospectives avec lesquelles Steve Blush a écrit ce livre.
Ce sont toutes ces images récurrentes de bagarres ultra violentes qui étaient troublantes dans ce livre…
Cette violence existait, elle était bien présente. Mais Steve a juste mis en avant ce que lui en pensait et non ce que j’en pensais réellement. C’est un penchant naturel du journalisme. Même toi en m’interviewant tu sélectionnera ce qui te paraît le plus pertinent selon tes propres perspectives, et Steve a des perspectives très étranges… Je ne pourrai jamais nier la violence de cette époque car elle était bien réelle et je ne la regrette pas. La violence est une mauvaise chose en soi, mais elle est quelques fois nécessaire. Je ne dis pas non plus que tous les actes de violence dans lesquels j’ai été impliqué étaient nécessaires. Répondre à la violence par la violence n’est pas une réaction intelligente. Quelques fois ce fut vraiment nécessaire, mais lorsque ce ne l’était pas, c’est là que je me suis rendu de mon erreur. Je pense que ma position sur ce sujet est très claire, mais il aurait été malhonnête de ma par de nier certains faits. Je l’ai appris tout çà sur le tas, mais j’ai arrêté de me battre dés 1984. Je ne sais pas si Steve l’a bien noté dans son livre. Il y avait beaucoup d’affrontements, c’est exact, mais je vais te dire ce dont il s’agissait. Lorsqu’il y a des changements, comme la foudre et le tonnerre ou 2 plaques tectoniques qui se rencontrent, cela donne des tremblements de terre, des créations de volcans. Une naissance se fait obligatoirement avec un minimum de douleur catatonique, parce que la nouveauté créé des frictions. Si tu as de nouvelles idées vraiment novatrices, elles se manifesteront par une certaine forme de violence en termes de rapports humains. J’aime autant te dire qu’être punk en 1979 çà voulait dire te faire insulter à chaque fois que tu mettais un pied dans la rue. Tu te faisais continuellement tabasser parce qu’ils trouvaient çà marrant, alors tu te battais à ton tour. Cette violence avait un sens visuel de puissance qui n’était pas très saine. C’est intéressant car elle te permet de te sentir bien pendant quelques instants, mais la violence entraîne encore plus de violence et automatiquement t’amène sur des territoires encore plus stupides. La première fois que l’on te rentre dedans et que tu réponds, tu te dis " Ouais, putain de ouais ! ". Est-ce que tu t’es déjà fait insulter par un automobiliste qui te dépasse en te gueulant après ? J’aime autant te dire que si tu te mets à lui courir après et que sa voiture se retrouve bloquée un peu plus loin à un feu rouge ou à cause des embouteillages et que tu te places en face de lui en lui hurlant après à ton tour, il se dira probablement qu’il a fait chier la mauvaise personne. C’est évident que çà ne mène nulle part, et peu importe l’état de réflexion que tu puisses y apporter, on ne rationalise pas la violence ! J’ai ma propre philosophie sur le sujet, " réduit l’ego en pièces, pas le corps ! " ( " bruise the ego, not the body ! " ). Je me suis battu c’est sûr, mais je n’ai jamais rien cassé à personne, je n’ai jamais voulu tuer personne. J’ai toujours voulu montrer que je n’avais pas peur d’eux. J’ai rompu la glace en me battant à mon tour pour détruire leur ego. Plus j’y pense et je me dis qu’il faut toujours garder le contrôle, mais premièrement, il y a peu de chances que tu puisses y arriver. Il est impossible de garder le contrôle sur soi-même et sur les autres. On se faisait du mal et je me sentais responsable car on en arrivait toujours à se battre et je ne faisais rien pour les décourager non plus. Mes propres bagarres encourageaient les autres à se battre et c’est là que je me suis dit que c’était une connerie monstre et que çà devait s ‘arrêter. La violence est une forme de communication très affective mais elle t’entraîne dans la stupidité. Tu ne peux rien construire sur la violence, tu ne fais qu’attirer l’attention des gens.
Tu n’as jamais songé à écrire ton propre livre sur l’histoire de Dischord et de la scène hard core de D.C pour donner ta version des faits ?
Il se pourrait que je le fasse, j’y pense. J’ai déjà écrit le livre accompagnant le coffret célébrant les 20 ans de Dischord, ce qui en donne un bon aperçu.
Qui a écrit quoi dans ce livre, car tu es crédité au même titre que Jeff Nelson sans précision sur la répartition de votre travail ?
J’ai écrit tous les textes concernant les groupes à l’exception de High back chairs dont Jeff s’est occupé. Pour le reste, c’est un peu tout les deux avec une bonne part attribuée à Jeff. J’ai vraiment envie d’écrire quelque chose et je le ferai probablement un de ces jours, peut-être bientôt, je n’en sais rien. Je n’ai aucune idée de ce que ce sera. Je ne sais même pas ce que je ferai demain tant que je ne verrai pas l’endroit. Le problème que j’ai avec l’écriture, c’est que j’ai besoin de savoir à qui je m’adresse. Lorsque tu écris c’est la même chose que lorsque tu discutes avec quelqu’un. Regardes, j’ai fait 5 interviews aujourd’hui et aucune n’est semblable parce que toutes les personnes qui m’ont interviewé étaient différentes. Je discute avec toi comme je ne le ferai avec personne d’autre. Je réagis en fonction de l’instant présent, alors si je veux écrire j’ai besoin de savoir à qui je m’adresse !
Est-ce que tu tiens un journal de bord comme beaucoup d’écrivains et même de musiciens ?
Je l’ai fait mais j’ai arrêté. J’ai tenu un journal de bord de 1984 à 1994. J’y écrivais tout les jours ce que j’avais fait le jour même. J’ai arrêté le jour où je me suis surpris à écrire dans mon journal " Hier j’ai écrit dans mon journal ". J’y ai réfléchi et j’ai arrêté. C’est comme de regarder son reflet dans un miroir reflétant un autre miroir lui-même reflétant un troisième miroir et ainsi de suite. C’est ce que j’ai pensé, j’écris dans un journal que j’ai écrit dans un journal. C’est de la documentation devenant un mode de vie, j’écris sur de l’écriture… L’écriture devient son propre régénérateur. C’est quasiment du feedback. Le lendemain j’aurai écrit " hier, j’ai écrit que j’avais écrit. " et le jour d’après " Avant-hier, j’ai écrit que j’avais écrit que j’avais écrit. ", alors j’ai tout arrêté. Je devrais recommencer à écrire. Ma mère, qui voulait que je sois écrivain dans un premier temps, disait " Quand tu écris, même dans un simple journal de bord, tu dors mieux, parce que tu n’as plus à penser à toutes ces choses que tu as mises sur papier. Tu n’as plus besoin de t’en souvenir et de t’encombrer l’esprit avec car tu l’as consigné sur papier. " Ma mère a toujours eu de très bonnes idées, elle est très smart.
Tu es issu d’une famille nombreuse ?
J’ai un frère et 3 sœurs.
On connaît surtout Alec ( Faith, Ignition, Warmers ) et Amanda ( Sammisch records )…
Ma sœur aînée Kelly était en fait dans le punk rock avant j’y rentre. Elle m’a laissé quelques-uns de ses premiers disques. Mon autre sœur aînée Suzanna n’était pas dans le punk rock mais n’en était pas moins totalement radicale. Elle est très concernée, elle travaille dans une prison en tant que conseillère ( conselor ? ). C’est un travail très social. Elle enseigne l’auto défense pour les femmes. Elle est très forte ( tough ). Kelly est poète et linguiste, tout comme Suzanna. Toute ma famille joue avec les mots. Mon père et ma mère sont tout les deux écrivains, mes 4 grands-parents étaient écrivains, tout le monde écrit.
Vous semblez tous très proches…
C’est exact. Ma famille est très inhabituelle. Suzanna est la seule d’entre-nous à ne pas habiter Washington. Mon père, ma mère, Kelly, Alec, sa femme Leary, Amanda et moi dînons ensemble tous les dimanches soir, et j’essaie de voir ma mère au moins une ou deux fois par semaine pour jouer aux cartes avec elle, discuter. Nous sommes une famille très soudée. Ils habitent toujours au même endroit, la fameuse adresse de Dischord sur Bleecher street où je vais régulièrement récupérer mon courrier.
Pour en revenir au coffret célébrant les 20 ans de Dischord, Le 3ème CD uniquement constitué d’inédit est principalement axé sur les tout premiers groupes du label ( Teen idles, S.O.A., Minor Threat, Government Issue, Scream, Marginal Man… ), pourquoi ?
Ben, c’est un CD de titres inédits. La plupart des groupes plus récents ont énormément de titres inédits, car c’est une époque très différente. Au tout début du label, il était très rare que les groupes puissent enregistrer. Il y avait peu de moyens. Maintenant avec tous ces logiciels utilisables sur un simple ordinateur, les groupes enregistrent à tour de bras, continuellement. Nous avons commencé le label pour lui donner une signification historique, c’était plus intéressant de revenir sur les débuts de Inner ear et les premiers enregistrement de Minor Threat que de ressortir un inédit de plus de Bluetip. D’un point de vue historique, c’est beaucoup plus intéressant. Je voulais que ce CD reste cohérent et ne soit pas trop long. Personnellement je trouve que les CD de 60 ou 70 minutes sont quasiment inécoutables en entier. Je l’ai laissé faire sur les 2 autres CD’s car il n’y avait pas d’autre moyen de faire rentrer 50 morceaux sur 2 disques qu’en les mettant sur 2 CD’s de 70 minutes. Le troisième CD se devait d’être un disque écoutable facilement dans le sens où c’était l’occasion d’y présenter toute une série de titres inédits pas forcément très bien enregistrés. Ce qui s’est passé, c’est également que nous avions une tonne de titres inédits de Teen Idles, S.O.A., etc, mais rien d’Embrace, de Rites Of Spring, Soulside, Beefeater. Nous avions déjà tout sorti sur CD. C’était weird mais on ne savait pas où s’arrêter en terme de ce que nous devions conserver sur K7.
Comment as-tu fait pour récupérer tous ces enregistrements inédits ? T’es-tu fait aidé par d’autres personnes comme Henri Rollins qui semble être un véritable archiviste en la matière ?
Non, j’ai tout fait à partir de mes propres K7. J’ai dû en remixer certaines car tous les masters avaient disparu. C’était très cool de pouvoir retravailler de vieux morceaux de Teen Idles par exemple.
Pourquoi ne pas avoir mis de titres de ton tout premier groupe, The Slinkees ?
Il n’existe que 2 enregistrements de cette époque, qui sont en fait 2 repets sur K7. On aurait probablement dû le faire, mais on ne l’a pas fait !
Tu parlais de Soulside et Beefeater un peu plus tôt, mais ils ont chacun un album qui n’a jamais été réédité, penses-tu les ressortir un jour sur Dischord en CD ?
Effectivement, il y a " I need a job " de Beefeater qui est totalement introuvable mais il est sorti sur un autre label. Je n’ai pas les bandes et elles ont probablement disparu avec les gens qui s’occupaient du label. Mais si j’ai l’occasion de remettre la main sur ces bandes, je ressortirai ce disque c’est sûr ! Bien qu’à la réflexion, il se pourrait que je les ai, il faudrait que je vérifie. Actuellement, nous avons en projet la ressortie du premier album de Soulside avec le split EP de Lunchmeat et Mission impossible ( tout premier groupe d’un certain Dave Grohl… ) sortis sur Sammisch records. J’en ai récemment parlé avec Amanda et elle m’a dit qu’elle avait également retrouvé les bandes du premier album de Shudder To Think ainsi que de leur premier EP. On va essayer de ressortir tout çà pour qu’ils soient de nouveau disponibles pour tout le monde. Je suis content de les ressortir à partir du moment çà peut intéresser suffisamment de gens. Même s’ils sont juste tirés à 1000 exemplaire, je m’en fous. Je n’ai pas l’objectif d’en vendre le plus possible. A partir du moment où çà peut faire plaisir à des gens qui cherchent ces disques, je suis content de les sortir. La seule chose que je veux éviter c’est bien évidemment de perdre de l’argent dessus. Même si on rentre juste dans nos frais, c’est parfait ! On continue de débroussailler le passé. Je pense également sortir la démo d’Artificial Peace que j’avais enregistrée.
Elle est pourtant sortie il y a environ une dizaine d’années sur le label allemand Lost & Found avec une autre démo. Etait-ce un disque officiel car ce label n’a pas toujours bonne presse sur le sujet ?
C’était du quasi officiel…
Un de ses tout premiers disques était le EP " Live at buffhall " de Minor Threat, était-il officiel lui aussi ?
A peu près… je connaissais le gars qui s’occupait du label. Il m’a demandé s’il pouvait sortir ce EP, on en a discuté, puis il nous a proposé de nous envoyer 10% du pressage en paiement. Il nous en a envoyé 100 en disant qu’il en avait pressé 1000, mais en réalité je ne sais vraiment combien il a pu en presser exactement. C’était un peu foireux. Tout ce que je peux en dire c’est que n’était pas quelqu’un de très communicatif. Je n’en garde aucune rancœur, les disques pirates ne me dérangent pas.
Il y en a pourtant eu un bon paquet vous concernant tant pour Minor Threat que pour Fugazi, ou de nombreux groupes de D.C. comme Faith, Void ou Youth Brigade… La démo de Minor Threat a d’ailleurs dû être bootleggée au moins 3 fois sous des format différents…
Vraiment ? Qu’importe, je pense que nous allons ressortir cette démo de Minor Threat nous aussi sous forme de EP.
Cà a déjà été fait il y a plus de 10 ans en EP bootleg…
Le notre aura un meilleur son, de toute façon c’est moi qui détient les bandes originales ! Actuellement, j’ai vraiment envie de les remasteriser, ces versions sont vraiment incroyables. Elles sonnent à merveille, j’en suis réellement content. Nous travaillons aussi actuellement sur un DVD de Minor Threat qui devrait regrouper le fameux concert au 9.30 déjà disponible en VHS ainsi que le Live at Buffhall dont tu parlais. J’ai une vidéo du concert en entier. J’en ai le master. J’ai récemment retravaillé tout çà en studio et çà rend vraiment bien. J’en suis très content. Il y aura peut-être aussi dedans une interview que j’avais donnée en 1983, je suis en train de réfléchir si je la mets car c’est une interview un peu folle.
J’espère qu’il y aura une meilleure qualité d’image que les vidéos sur le CD de titres inédits du coffret…
Oui, bien sûr. Je les adore ces vidéos. Ce sont des documents historiques. La vidéo des Untouchables, je la trouve fantastique. On dirait un vieux film 8mm. J’en suis très content. The Untouchables était un groupe incroyable. C’est Brendan qui a eu l’idée de ces vidéos. En tant que documentaire il nous a dit qu’il fallait à tout prix que l’on rajoute quelques vidéos. Du coup on en a mis 6. As-tu vu celle de Deadline avec Brendan Canty, et Guy qui essaie de se débrancher, c’est trop drôle ! Ils ne veulent pas jouer. C’est Insurrection, le premier groupe de Guy. Ils essayent d’éteindre la caméra, c’était la première performance musicale de Guy. Très drôle et intéressant.
Toujours à propos des 20 ans de Dischord, pourquoi vous être mis à remasteriser toutes vos premières sorties CD ( Dag Nasty, Rites Of Spring, Embrace, Scream… ) ?
Il y a eu 2 raisons. La première est que la technologie de transfert de bandes audio sur CD’s n’était pas très bonne au tout début où nous avons commencé à faire nos sorties CD, et elle est devenue nettement supérieure. L’autre raison est que les sources musicales que nous avions utilisées pour nos premiers CD était les masters qui avaient servi aux vinyls. Ces masters sont très limités en termes de son car le vinyl a une capacité limitées lui aussi. Ce qui est vraiment bien avec le CD c’est que tu peux monter la puissance à son maximum, tu as une meilleure résolution du son. Le défaut majeur de nos premiers CD’s aurait pu être comparable à l’utilisation d’un écran télé plasma haute définition pour visionner un vieux film en noir et blanc. Cette nouvelle technologie CD et le remastering permettent de donner une nouvelle dimension à ces enregistrements. Ce qui s’est passé, c’est qu’il y a 2 ans lorsque j’ai fini le master des 2 compils du coffret, je me suis occupé du mastering moi-même et j’ai comparé les titres remasterisés à leur version CD, comme pour " Blueprint " par exemple. Je me souviens, je me suis passé sa version du CD " Repeater ", puis celle remasterisée pour la compil, c’était le jour et la nuit ! Je me suis dit qu’il fallait que l’on remasterise tout.
Vous allez vraiment remasteriser tout votre catalogue ?
Tout ce qui est en provenance de pressages vinyls. Le Rites Of Spring par exemple sonne tellement mieux une fois remasterisé ! J’en suis vraiment très très content ! Si tu veux t’en rendre compte fais-moi, passe toi la version de " Blueprint " du coffret, puis celle de " Repeater " sans changer de volume. Laisse-le tel qu’il est et tu te rendra immédiatement compte de ce que je veux dire. Ultimately, ce coffret et le travail de remastering sur tout ces disque est une manière de rendre honneur à la musique. La musique a toujours été le but premier de notre label. C’est tout ! Sans groupes, il n’y a pas de label, sans musique, il n’y a pas de groupes. La musique en est le point principal. Ce n’est pas juste une question de packaging, nous cherchons avant tout à rendre hommage à la musique. Nous voulons montrer notre dévotion à une forme attention dédiée à la musique et de continuer à la présenter sous sa meilleure forme possible. Je suis vraiment très content ( fier ? ) de cet aspect des choses. A l’instar d’autres labels nous avons vraiment une démarche historique dans le sens ou nous continuons d’exister tout en préservant le passé.
Une des caractéristiques principales de Dischord est de s’être toujours axé sur la scène locale, celle de Washington, à l’exception de Trusty qui purent être sur le label après avoir quitté l’arkansas pour DC, vous n’avez jamais pensé à créer une subdivision du label pour signer d’autres groupes ?
J’ai suffisamment de travail comme çà, je n’ai pas besoin de davantage. J’ai déjà un label, un groupe, et une compagnie de distribution.
Comment se passe le choix des labels avec lesquels vous avez effectué des co-réalisations, comme Slowdime, Sammisch, Superbad et tant d’autres ?
Cà dépend. Soit ils nous le demandent ou on leur propose notre aide spontanément.
Quel est le rôle de Dischord dans ces co-productions ?
Là aussi çà dépend, il n’y a pas de règles particulières. Par le passé nous prenions le relai sur le pressage et la distribution mais çà ne fonctionnait pas très bien. Je pense que les gens ont besoin d’un minimum de responsabilités pour s’investir dans un projet. Sortir un disque est une sorte de pari, tu y investi une certaine somme d’argent en espérant récupérer ta mise de départ. Je veux que les labels avec lesquels nous travaillons aient conscience qu’il s’agit de leur argent et qu’ils soient prêts à se lancer dans l’aventure. Si je prends en charge tout le P.& D. ( Pressage et Distribution ), ce n’est pas leur argent qui sera directement mis en jeu et ils ne se sentiront pas pleinement concernés. Ils ne s’investiront pas autant dans leur business. Si le montant qui revient en retour est ridicule, je refuse d’en avoir la responsabilité. Je me fous de savoir combien vendra un disque, 1000 exemplaires, 10 000 ou 100 000. Cà ne fait aucune différence pour moi. J’aime beaucoup plus certains disques qui se sont vendus à 1000 copies que d’autres qui se sont écoulés à des millions d’exemplaires. La seule chose à laquelle je fais très attention est si je presse à 1000 exemplaires, je veux être sûr qu’il y aura 1000 personnes intéressées par ce disque et non 10 000, et si je presse à 10 000 être sûr qu’il y aura bien 10 000 personnes pour l’acheter et pas seulement 1000, et à 100 000 si je suis sûr que 100 000 personnes l’achèteront et pas 10 000. C’est toujours la même chose. La valeur d’un disque à mes yeux n’a rien à voir avec ses ventes, quelques uns de mes disques préférés n’ont été pressés qu’à 500 exemplaires. Et çà me va tout à fait.
Etais-tu un collectionneur de disques en étant plus jeune pour posséder de telles pièces ?
Collectionner est un mot beaucoup trop fort, je possède beaucoup de disques parce que je suis fasciné par la musique. Les seuls disques que j’ai réellement collectionnés activement étaient ceux du label Dangerhouse, le label de Los Angeles qui a été une grande source d’inspiration pour nous. Avengers, The Dils, The Bags, The Germs, X, The Weirdos, Randums, Eyes, Black Rhandy, ourf works ?, The Dead Beats, The Alley Cats, tous ces disques étaient incroyables. Ce label n’a sorti que 12 ou 13 EP’s et 2 LP’s. Leur esthétique était superbe, il y avait un feeling spécifique à chaque disque. Tous ces groupes venaient de Los Angeles, côte ouest ou secteurs de L.A.. J’adorais çà. Une magnifique source d’inspiration. C’est amusant, car Dangerhouse, je ne connaissais rien de leur label, je me contentais d’acheter leurs disques, et par la suite je me suis rendu compte de similitudes avec nous. Je sais maintenant comment ils fonctionnaient. Les gens ont toujours cette image de la Dischord House comme d’une véritable maison abritant le label, ce qui est vrai. Et bien, il y avait réellement un endroit qui s’appelait Dangerhouse et qui fonctionnait de manière similaire avec le staff du label. Je ne les ai jamais rencontrés mais j’aimerai beaucoup le faire, voir ce qu’ils sont devenus.
Achètes-tu toujours beaucoup de disques ?
Oui, je continue d’en acheter mais j’ai des goûts très particuliers. Je n’ai pas beaucoup de temps libre pour faire du shopping, et je n’aurai définitivement pas le temps de tout écouter. J’ai des milliers de disques que je n’ai toujours pas écoutés. Mais il y a quelques disques de Grand Holmes que j’aimerais bien avoir. C’est un groupe anglais des années 70 jouant une sorte de blues rock. Je suis un fanatique de Jimi Hendrix. Il doit y 70 ou 80 disques pirates live, et je les possède tous. J’adore Hendrix. J’aime aussi les pirates des Beatles et ce genres de trucs. En ce qui concerne les groupes punks, je m’intéresse surtout aux rééditions. Il n’y a rien qui me branche réellement dans les groupes actuels, çà ne me parle pas trop. Cà ne veut pas dire qu’ils soient mauvais. La musique sur laquelle j’ai craqué, certains disques qui m’ont renversé, je pourrais toujours les écouter. Je n’ai pas envie d’écouter des choses ressemblant à ce que j’ai aimé. Les groupes actuels sont plus importants parce qu’ils existent. J’aime les voir sur scène mais en termes d’enregistrements studio je préfère m’écouter Black Flag ou d’autres groupes marquant de cette époque.
A propos de Black Flag, as-tu jeté une oreille sur le tribute " Rise Above " qu’Henri Rollins a récemment sorti ?
Oui, elle est incroyable ! C’est fou. Henri me l’a envoyée, j’ai été vraiment impressionné. Je dirais, ce qui est incroyable avec cette compil, à mon sens, le fait que ce soit le groupe d’Henri Rollins, Mother Superior qui sont de très bons musiciens. Ce qu’ils ont fait c’est qu’ils ont essayé de reproduire les morceaux de Black Flag le plus fidèlement possible mais ils ont échoué sur 2 points : le premier est que les morceaux, qui sont de très bons titres, ont été vraiment réarrangés, mais tu rends aussi compte que personne ne peux jouer comme Greg Ginn à part Greg Ginn, personne ne peut jouer comme Chuck Duckowski à part Chuck Duckowski, et personne ne peut jouer comme Robo à part Robo. C’est vraiment cool que ces gars aient réussi à y insuffler leur propre énergie pour en faire leurs propres version, çà redonne en quelque sorte un peu de force aux morceaux. Cà donne à ces morceaux une perspective différente. Mais aussi bonnes soient-elles, ces nouvelles versions ne pourront jamais égalé les originales. J’ai tout de même été très impressionné. Habituellement, je n’aime pas trop ce genre de disques, toutes ces compils hommage ne m’interpellent pas, mais celle-ci le fait vraiment bien, certainement aussi parce que ce sont avant tout des morceaux de Black Flag.
Il y a une dizaine d’années était sorti un album tribute reprenant en entier l’unique album d’Embrace ( groupe ayant précédé Fugazi avec Ian Mac Kaye et les membres de Faith / Ignition ), l’as-tu écouté ?
Oui, je m’en souviens. C’est sorti il y a des années. La seule idée intéressante étaient d’avoir gardé le même ordre que sur l’album original mais la plupart des morceaux avaient perdu de leur âme. En revanche, il y a eu une compil française de reprises de Fugazi que j’adore. Elle est incroyable, c’est mon disque de reprises préféré. Les versions sont tellement barges, je les adore ! Elles sont si personnelles, c’est le principe d’une bonne reprise.
Lorsque je suis passé à la Dischord house il y a 2 ans, j’ai été surpris de constater que ce n’était pas si grand que çà pour un label aussi important, où stockez-vous tous vos disques ? Laissez-vous une partie du pressage à la charge de vos distributeurs ?
On fonctionne de différentes manières. Dischord a un deal de production avec Southern Studios à Londres qui ont également des bureaux à Chicago. La majorité des disques de Dischord sont pressés par leur intermédiaire à Londres ou Chicago. Mais vu que nous distribuons aussi ces disques, nous en récupérons une partie. Nous pressons aussi nous même nos propres disques comme par exemple le CD posthume de One Last Wish, Happy Go Licky, Make Up " In the city ", le Nation Of Ulysses " Ambassady tapes ", " 6 old 7’’ on a CD ". Nous avons sortis ces disques nous-même, nous les avons pressés, stockés, distribués. Nous avons aussi les autres labels que nous distribuons, c’est très variable. Nous n’avons pas de répartition spécifique.
Pendant longtemps apparaissait sur vos disques distribués en Europe la mention " Made in France " ce qui était quelque peu surprenant…
C’est parce qu’en 83 ou 84, lorsque nous avons sorti " Out of step ", mars 83 à vrai dire, à cette époque nous fonctionnions sur la base de pressages de 1000 copies suivant le même principe que les EP’s, et tous les groupes attendaient à tour de rôle que leurs disques soient pressés ou repressés. Le EP de Minor Threat 1000 copies, puis le EP de Government Issue 1000 copies, Minor Threat 1000 copies, Youth Brigade 1000 copies, Flex Your Head 1000 copies, Faith / Void 1000 copies, SCREAM 1000 copies, puis au moment de sortir " Out of step " la demande était tellement forte 3000 / 3500 copies et excessive qu’à peine les disques ont été pressés ils étaient déjà écoulés. Nous devions sortir le 12’’ de Faith " Submit to change " juste après à 1000 copies, mais nous n’avions plus d’argent. Nous avions tout dépensé avec les 3500 copies de " Out of step " que nous venions de presser. Les disques avaient beau avoir été tous vendus, les distributeurs ne nous avaient pas payés et nous n’avions plus d’argent. Nous avions un sérieux problème car même si nous avions de la demande sur le Faith / Void nous n’avions pas l’argent pour le represser. Si nous récupérions notre argent, nous ne savions pas si nous devions represser le " Out of step " que nous étions sûr de vendre ou sortir le disque de Faith parce que ces derniers attendaient depuis longtemps. C’est à cette époque que nous avons essayé de trouver une solution car nous étions coincé avec les usines de pressage qui nous demandaient de payer cash à livraison de la marchandise. C’est à ce moment que nous avons reçu un coup de fil de John noodle qui dirige Southern studios, il avait fait partie de Crass , avait écouté Minor Threat et adorait. Il se demandait s’il aurait été possible de le presser en Angleterre pour le vendre sur place. Il est venu aux Etats-Unis et a débarqué directement au concert de Minor Threat à New York. On a discuté de son idée, et on lui a proposé " Ecoute, si tu presses " Out of step " pour l’Angleterre, est-ce que tu pourrais en presser 2000 de plus et nous les envoyer parce que nous n’avons pas les moyens de le represser actuellement pour les Etats-Unis. ". Il a accepté et çà a été le début de notre association. Il avait des tarifs très avantageux. Cà nous revenait beaucoup moins cher de presser en Europe qu’aux Etats-Unis, en plus nous avions la possibilité de payer en différé. C’était même moins cher de presser là-bas et de payer les frais de port jusqu’ici que de presser directement aux Etats-Unis. C’est ainsi que nous avons décidé de travailler avec lui et çà a été le début de notre partenariat.
Certains de vos disques les plus anciens comme la compil Flex your Head ou le split LP Faith / Void sont toujours pressés en vinyl alors que beaucoup d’autres datant de la même époque ne le sont plus comme le " Identity " de Marginal Man ou le " Submit to change " de Faith, pourquoi ?
Parce que l’on n’en vend pas assez pour se permettre de les represser éternellement en vinyl. On en vendrait peut-être maintenant qu’ils sont restés longtemps introuvables en vinyl, mais à lépoque on n’en a pas vendu énormément. Quant aux autres disques, c’est parce que l’on en vend encore régulièrement que l’on continue de les presser. Flex Your Head se vend toujours très bien, idem pour le split Faith / Void, mais le " Submit to change " de Faith a arrêté de se vendre depuis des années, je ne sais pas pourquoi. Peut-être que maintenant il revendrait, mais à une époque il ne vendait plus du tout. C’est important de le dire car çà fait partie de choses que l’on nous reproche. Par exemple, on sait très bien que l’on ne vendra plus de vinyls de Ignition. Des gens voudront peut-être en acheter mais pas suffisamment pour çà justifie un repressage. Il faut aussi savoir qu’un vinyl revient beaucoup plus cher qu’un CD à la fabrication, et c’est une vrai galère. L’artwork revient plus cher également. Le fait est que nous avons dû monter le prix de nos vinyls au même niveau que celui de nos CD à cause de tout çà. Cà a été une grande discussion au sein du label parce que théoriquement et spirituellement un vinyl est supposé être moins cher qu’un CD mais il coûte beaucoup plus cher à la fabrication et en frais de transport, alors fuck ! Il faut être réaliste. Nos CD sont vendus 10 $, idem pour les vinyls. J’ai fait une comparatif avec les tarifs des autres labels dans les magazines, et je me suis rendu compte que tous vendaient leurs vinyls à peine 1 $ moins cher que leurs CD’s, je me suis dit merde autant tout mettre au même prix. On est parti sur ce principe en se disant on verra bien ce que çà donne.
Tu as produit très tôt de nombreux groupes, comment as-tu appris ton travail de producteur ?
Est-ce Don Zenteria des Inner Ear studio qui te l’a enseigné ?
Don était notre ingénieur du son, moi j’étais généralement à côté à discuter et à l’écouter. Je ne savais pas comment fonctionnait un studio mais j’étais plutôt bon pour communiquer. Je comprenais ce que les groupes voulaient, et ce dont Don avait besoin. J’étais un bon intermédiaire. J’ai le goût pour çà et ma propre idée de ce qui bien et ne l’est pas, j’ai mon style et ma propre esthétique.
Choisis-tu les groupes que tu produis ?
Par le passé j’étais énormément sollicité, un peu moins récemment. Je ne demande rien lorsque je produis un groupe, je ne suis jamais payé. Je le fais gratuitement, comme çà il n’y a pas de considération de business. Spécifiquement, je ne travaille que sur des projets qui m’intéressent car je suis trop occupé par ailleurs. Lorsque les gens me demandent, je réponds généralement que je suis trop occupé, ce qui est le cas. Je dois enregistrer un groupe qui s’appelle Black Eyes le week end prochain. Je suis assez impatient de le faire. Sans çà, le dernier disque sur lequel j’ai travaillé était le Q And Not U, qui est très bien. Ils ont d’ailleurs joué avec nous lundi dernier, c’était très bien. Ils sont fantastiques !
Comment es-tu rentré en contact avec eux ?
John Davis leur batteur jouait dans un groupe qui s’appelait Corm, avec de jeunes types du Maryland qui devaient avoir 14 ou 15 ans. On avait discuté ensemble, ils voulaient sortir un EP et je les ai aidé à produire leur premier single qui est sorti sur leur propre label, sup recordings je crois. C’est comme çà que j’ai fait la connaissance de John. On avait l’habitude de jouer ensemble au softball tous les mardi soirs avec Kim Coletta de Jawbox, et d’autres gens. John venait jouer avec d’autres gamins, les membres de Q And Not U, c’est comme çà que l’on a lié connaissance. J’ai également rencontré Jeff de Smart Went Crazy à ce jeu de softball. C’est amusant. C’est moi qui leur ai demandé s’ils voulaient sortir leur album sur Dischord.
Comment fonctionnes-tu avec les groupes sur Dischord, as-tu été amené à leur faire signer un contrat comme d’autres labels qui ne le faisaient pas par le passé tels Look Out ou Epitaph ?
Non, il n’y a aucun contrat de signé, ni même de poignée de main symbolique. C’est un accord verbal. Il n’y a définitivement aucun de contrat musical de signé entre-nous.
Que penses-tu de la manière dont certains labels comme Epitaph ou Fat Wreck ont été amené à fonctionner après l’explosion du punk rock ?
Je n’y prête pas attention. Ce n’est pas mon problème, c’est le leur. Ce qui m’intéresse n’a rien à voir avec eux, ce n’est pas la même chose. Je n’ai aucune envie d’avoir à m’impliquer dans des querelles d’ histoires d’argent, et je ne veux définitivement pas avoir à traiter avec des avocats. Parce que c’est une véritable calamité ( pain in the ass ), et une calamité qui coûte cher. Alors j’ai décidé depuis longtemps que si je devais avoir la moindre embrouille avec un groupe et qu’un contrat était demandé pour trouver un terrain d’entente, je ne voulais pas en entendre parler. S’il devait y avoir le moindre litige, je leur donnerai ce qu’il veulent, je leur rendrai leurs enregistrements pour qu’ils aillent voir ailleurs. Je ne rentrai pas dans la moindre polémique.
As-tu déjà rencontré ce genre de problème ?
Non, jamais. Il y a juste eu The Make Up qui sont partis. Ils voulaient se faire plus d’argent, alors ils sont partis sur K records.
Comment cela s’est-il passé avec Shudder to Think lorsqu’ils sont passé sur une major ?
Pas si mal que çà. Ils voulaient tenter l’expérience du passage sur une major. Je pense que c’était une erreur, mais je ne suis pas dans le groupe.
As-tu aimé leur album ?
Je n’aime pas les disques qui sont sur des majors. Ce n’est pas que les morceaux soient mauvais, je les connaissais déjà et ce sont de bons morceaux. Mais j’ai décidé en 1979 lorsque je me suis impliqué dans le punk rock d’éteindre ma radio et de ne plus jamais la rallumer. Il y a tellement de groupes ( musique ? ) incroyables dans le monde qui ne seront jamais sur des majors. Je n’ai déjà pas suffisamment de place dans ma tête pour écouter tous ces groupes underground incroyables de jazz ou de musique indépendante sous toute ses formes circulant à travers le monde. Je n’ai pas de temps à perdre avec les groupes sur des majors, je n’ai pas envie de les écouter, à l’exception de Jimi Hendrix et des Beatles. Je ne suis réactif qu’à une forme de musique sortant ( émanant ) d’un certain contexte et de salut. Ces chansons sont tellement formatées, on sent trop le besoin d’en sortir un hit potentiel, et çà ne présente aucun intérêt à mes yeux. Je m’en fous. Ce que je recherche à travers la musique, c’est de ressentir quelque chose.
Il n’y a que peu de disques live sur Dischord dont un est la seule trace d’existence du groupe ( Happy Go Licky ), vous n’aimez pas les enregistrements live ?
Pour Happy Go Licky, c’était effectivement la seule trace existante du groupe. The Make Up ont un faux live et un second intitulé " After hours " enregistré à Londres. Il y a quelques titres live de Teen Idles sur le EP, 2 titres live de Soulside. Il y a peu de demande sur les enregistrements live. Je ne prends aucune décision sur ce que les groupes doivent sortir, cela reste toujours leur propre décision. Avec Fugazi nous avons tellement d’enregistrements live de bonne qualité que nous ne saurions par où commencer pour en faire une sélection, personne d’entre nous n’en a jamais eu l’énergie ( courage ? ). Nous devons avoir prêt de 800 enregistrements live, qui pourrait avoir envie d ‘écouter tout çà ? Certainement pas moi ! Ce n’est pas une question d’éthique. C’est juste un état de fait. Existe-t-il un groupe dont tu préfères des enregistrements live à ses albums studio ? Nous en avons discuté entre nous dans Fugazi et n’avons pas trouvé à l’exception du live de MC5. Au lieu de sortir un album live nous préférons que les groupes enregistrent de nouveaux morceaux. Nous réfléchissons à un moyen intelligent de rendre tous ces enregistrements disponibles via internet. Si la technologie fonctionne , c’est un point, nous essaierons de créer un site accessible à tous, où tu pourras télécharger un concert en entier. C’est l’idée. Mais avant il faudra se poser pour réécouter toutes ces K7, ce qui représente énormément de boulot.
Un nouvel album de Fugazi est-il en préparation ?
On compose mais rien n’est figé. On est juste venu pour donner ces concerts en Angleterre.
Sur le EP de Egghunt ne figuraient que 2 titres pourquoi ne pas avoir mis la session en entier lorsque vous l’avez ressorti en CD, sachant que 2 titres supplémentaires avaient été enregistrés ?
4 titres ont été enregistrés effectivement mais un n’avait pas de chant, 2 en fait. Ils n’étaient pas finis. Par contre si tu repasses à Washington, il faudra que je te fasse écouter çà, sur un de ces 2 titres tu retrouves quasiment le riff de " Great cop " de Fugazi. J’ai écrit çà il y a des années à l’époque de Skewbald. J’avais écrit çà, di di di doud di di di dou da dou dom. C’était en 1981.
Concernant Skewbald, il n’existe pas de titres en plus par rapport aux 2 du EP ?
Non, c’est tout ce que nous avons enregistré. Il y en a 3, mais 2 sont enchaînés. C’est ce titre qui s’appelle… En fait il n’y a pas de titre. C’est celui qui démarre pas " You just change for the same, the same… ". Ce sont 2 titres distincts que nous avons regroupés. Durant cette même session nous avons également enregistré Rozzlyn Rangers. Je ne souviens pas s’il y avait d’autres titres de Skewbald, nous n’avons pas composé tant de titres que çà. Ce qui s’est passé c’est qu’on s’est retrouvé avec des heures de studio gratuites à disposition alors nous en avons profité pour enregistrer alors que nous n’avions même pas donné de concerts. J’aime beaucoup ce EP.
C’est d’ailleurs amusant car sur ce EP figure un titre qui sonne exactement comme un morceau du premier album de Uniform Choice.
Il nous l’a piqué ! ( Pat Dubar ). Il avait écouté la K7 de la session de Skewbald et pensait qu’il s’agissait d’un titre inédit de Minor Threat. Il pensait qu’il ne sortirait jamais et nous en a même piqué les paroles. Ils l’ont refait en se l’appropriant au nom de Uniform Choice. En fait, çà m’excède ( ennuie ? ) particulièrement qu’il ait fait çà. Uniform choice nous ont pratiquement tout piqué sur ce premier album, leurs titres sont versions rip off de morceaux de Minor Threat, " Small man, big head "… C’est totalement fou. As-tu remarqué que la pochette arrière de leur album est exactement construite comme celle de l’album de Faith. Au dos de " Submit to change ", il y a des photos d’eux en train de jouer avec un certain lay-out. Uniform Choice l’ont reproduit à l’identique, avec exactement le même lay-out et le même agencement de photos. Ce morceau qui fait " I’m sorry for I did, I’m sorry for I didn’t do… ", ce couplet il me l’a tout simplement piqué. Leur disque est sorti avant le EP posthume de Skewbald, mais nous l’avions enregistré bien avant eux en 1981 ! Qu’on ne me refasse jamais çà, sans quoi je botterai le cul de celui qui essayera. Qu’est devenu Pat Dubar, leur chanteur ? Il a ensuite joué dans ce groupe, Mindfunk… C’est si amusant de voir ce que ce sont devenus tous ces dieux auto proclamés de la scène straight edge.
As-tu lu " All ages ", le livre de Beth Lahickey ?
Je ne l’ai pas lu, tout ce dont je me souviens est que nous avions fait une interview par téléphone. Dans le livre j’interviens sur 8 pages d’affilée mais ces propos sont tirés de cette interview téléphonique. C’est juste moi en train de parler sur 8 pages. Je ne l’ai toujours pas lu, tout du moins j’ai lu tout ce qui concernait les autres personnes. Pour moi être straight edge n’a jamais été un choix ou un moyen de vendre des disques. Je n’avais pas envie de me défoncer la tête comme les autres gamins, c’est tout. Il y avait ce morceau de Minor Threat " Small man, big mouth " qui disait " Compete, compete, do it for the boys. Empty barrels make the most noise. ". Tu connais le concept d’un chargeur vide, çà fait énormément de bruit. Si un barrel est chargé, çà fait juste " pow ", vide çà fait " pushhhhzzzz ". Un chargeur vide fait plus de bruit. Les gens qui hallow, crient beaucoup plus. Les premiers straight edge qui hurlaient " Straight-edge ! Straight-edge ! Straight-edge ! ", nous savons que ce sont ceux qui tourneront le plus mal, ce sont des victimes de leurs propres choix. C’est craignos, c’est tout. Tout ces gars avec cette attitude si forte… Al de SSDecontrol, je suis sûr qu’il est toujours straight-edge. Je ne l’ai pas revu depuis des années, mais ce gars est vraiment tough. Toujours aussi fou.
Est-il toujours sur Boston ?
Oui, il s’est marié avec Nancy, mais je ne sais pas ce qu’il devient. Je n’ai pas eu de nouvelles depuis 5 ou 6 ans. Il est toujours dans le circuit mais je pense qu’il m’en veut car je n’ai pas aimé son dernier groupe. Je ne me souviens plus de leur nom mais je n’ai pas aimé. Il m’a envoyé çà… Ah, oui çà me revient, çà s‘appelle Gage. Je lui répondu, je suis désolé mais j’ai écouté les morceaux mais je n’ai pas trop accroché.
Juste une dernière question, pourquoi avoir changé de distributeur en France et être passés de PIAS à Chronowax ?
Ce n’est pas nous qui avons fait ce choix, c’est Southern. C’est leur décision, southern à londres s’occupe de toute notre distribution européenne. On discute de toutes ces décisions ensemble, mais généralement je leur laisse libre choix car ce sont eux qui font tout le travail. Ce n’est pas vraiment une décision politique, c’est juste une histoire de business je suppose.
Et voilà, that's it !
Soundtrack : Fucked Up " Hidden world "
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